Uncategorized

Autre Ne Veut – Anxiety

Arthur Ashin fait partie d’un mouvement musical récent et toujours vague, celui d’un R&B expérimental, alternatif qui puise plus ses inspirations dans la production de Timbaland que les hymnes de D’Angelo. Sous son pseudonyme Autre Ne Veut, il réussit pourtant à mêler les influences de Prince à des sonorités ultra-futuristes tout en restant dans un moule R&B obéissant aux normes mais moderne.

Après son premier album éponyme en 2010, l’artiste a sorti un EP en se dirigeant doucement vers un côté moins expérimental et lo-fi qu’avant. Si Autre Ne Veutsonnait (superbement) brouillon et quasi-enregistré dans une chambre, Anxiety lui sonne extrêmement bien poli et détaillé, à la manière d’un Justin Timberlake. Le premier album avait ce charme exceptionnel, propulsé par les sonorités nouvelles de l’époque dues à How To Dress Well et cette puissance émotionnelle touchante d’un Ashin qui se défoulait amoureusement en partant dans des falsettos auxquels les tympans humains sont difficilement habitués. On peut alors aborder la chose sous deux angles : Si vous êtes un fan de l’artiste depuis ses débuts et que vous avez été conquis par sa voix extrêmement aigue et le côté touchant et fragile de l’artiste, il y a des chances qu’Anxiety, album particulièrement ambitieux et propre vous laisse indifférent. Si vous venez de découvrir l’artiste sous ses jours les plus pop et puissants, vous pouvez être troublé par son falsetto qui en a découragé plus d’un. Dans les deux cas, vous trouverez assez de beauté esthétique, de réalité et d’originalité pour vous conquérir à un moment ou à un autre.

Après le premier single, Counting, sorti à la fin de l’année dernière, les attentes pour Anxiety étaient déjà très hautes – on y voit un Autre Ne Veut propulsé par une production maximaliste et des piques de voix splendides sur un thème émouvant. On y voit surtout un Autre Ne Veut plus mature et autrement plus ambitieux que sur ses hymnes oisives de chillwave et de lo-fi, un artiste qui traite de la mort, de la peur et d’énormément d’autres problèmes auxquels il fait face avec une vigueur et un courage élevés. On peut dire qu’Anxiety est presque fait pour le rassurer. Le titre n’aurait pas pu être mieux choisi, Ashin explorant toutes les facettes de ce sentiment d’anxiété sous divers regards et luttant contre ce dernier avec une force incroyable. Il y a ensuite eu Play By Play, qui après 4 mois en 2013 reste la meilleure chanson sortie cette année… Mais on y reviendra plus tard. Avec ces deux chansons, on pouvait attendre l’album de l’année de la part du jeune chanteur mais l’album n’est pas aussi spectaculaire et parfait qu’il aurait pu être. Néanmoins, les deux premières chansons sont parfaites, aucune chanson n’est mauvaise et certaines sont fantastiques. La déception d’un manque de perfection est largement – et de loin – comblée par les enjeux qu’il remplit et la qualité du reste, même si je dois avouer qu’il m’a fallu beaucoup d’écoutes pour me rendre compte que certaines chansons n’étaient pas du simple filler.

Quand je vous disais qu’Autre Ne Veut lutte contre ces sentiments de désespoir, il n’y a qu’à écouter Counting : La chanson, aux premiers abords romantique, luit de tristesse, traitant de la mort imminente de sa grand-mère en stade terminal d’un cancer. Arthur Ashin lutte contre l’idée de la mort d’un être proche en se rassurant et en se répétant qu’il compte sur l’idée qu’elle restera toujours vivante. Le track en lui-même est purement splendide : Sur des synthés new wave des années 80, des flûtes en midi et un gospel fantastique propulsé par sa voix – l’une des plus puissantes et émouvantes de ces dernières années -, il projette tout son courage et ses sentiments avec une fougue explosive et un falsetto déchirant. Le beat prend des allures expérimentales avec un saxophone sauvage rappelant Colin Stetson, nombreux glitchs et tape hiss et atteint le pinacle du R&B maximaliste avec des drums, hi-hats et snares de trap rappelant Kuedo, voire How To Dress Well sur son Struggle sorti l’année dernière.

Image de prévisualisation YouTube

Gonna Die montre le jeune chanteur affronter l’idée de la mort avec une simplicité presque candide mais troublante de vérité. Il répète simplement qu’il mourra un jour mais qu’il se sent bien pour l’instant. Ego Free Sex Free, l’un des highlights, est l’un des extraits les plus pop de l’album, pure chanson d’amour aux sonorités érotiques et piquantes… mais toujours troublante. Comment une chanson aussi cliché sur le sexe peut-elle avoir un refrain clamant Ego free, sex free, I can’t feel my body… ?

Image de prévisualisation YouTube

Autre Ne Veut a réellement une manière bien à lui d’aborder à peu près tout et c’est bien ça qui rend son travail aussi original, on ne sait jamais sur quoi tomber. Même dans la production – splendide d’ailleurs, à laquelle ont participé Oneohtrix Point Never, Joel Ford etc – on retrouve toujours des éléments auxquels on ne s’attend jamais : Les saxophones sur Counting, le solo Prince-esque sur Don’t Ever Look Back, les strings à la psycho sur Warning… D’ailleurs, Warning est l’un des exemples les plus  représentatifs de la manière particulière qu’Arthur Ashin utilise pour s’exprimer : Alors que la première moitié le voit pris par un feeling qu’il, selon lui, n’arrive pas à expliquer, torturé par ce feeling qu’il prend comme un avertissement, la seconde moitié le voit reprendre le dessus et attaquer, propulsé par les strings psychotiques, scandant, affirmant même, avec une énergie monstrueuse, au moment précis où ces strings apparaissent, I will never wanna see your face again. Et je peux vous promettre qu’avant même que sa voix n’éclate en un falsetto déchirant, à la simple écoute de cette partie, vous lui obéirez et aurez presque peur de lui. C’est là toute la puissance phénoménale que dégage Autre Ne Veut, accentuée par un tout petit détail.

Image de prévisualisation YouTube

Le meilleur moment de l’album – et de l’année – reste l’intro, Play By Play. Je n’ai presque pas de souvenir récent d’une chanson aussi spectaculaire, puissante, et esthétiquement belle. La chanson s’ouvre sur des synthés floraux tirés des années 80, comme un jingle, brillants, extrêmement intenses. Le chanteur répète doucement, laissant l’auditeur s’immerger dans l’ambiance, And I said, baby, avec la meilleure performance vocale de sa carrière. A partir du moment où la chanson commence réellement, on se retrouve baigné dans le R&B le plus cliché possible, l’amour fou et pur, la rencontre de deux âmes sur une production fantastique, qui change à chaque partie. Lui-même apporte une puissance surhumaine à la chanson avec son chant acéré et ses falsettos transperçants. Le tout est encensé de paroles plus stéréotypées les unes que les autres. Le beat évolue et devient progressivement plus puissant et c’est là qu’on a droit à l’overdose de plaisir, le nirvana musical, le climax même du R&B matérialisé en un drop surpuissant – SURPUISSANT – qui aboutit vers un refrain qui s’enchaîne en boucle sur deux minutes, de plus en plus puissant. C’est juste trop, c’est le genre de moment cliché où c’est littéralement trop pour l’auditeur d’un seul coup et où le plaisir musical coule sans arrêts de plus en plus fort alors qu’on croit toujours qu’il a atteint le maximum. Les I just called you up to get that play by play se gravent dans notre mémoire ad infinitum et on a immédiatement envie de les réécouter et de ressentir une autre fois cette explosion d’émotions. Ils deviennent de plus en plus puissants avec les échos, le gospel, les ad-libs et deviennent surtout addictifs. Le meilleur dans tout ça c’est qu’on a l’impression que chaque partie de la chanson pourrait être le refrain. Play By Play devrait être trop cliché pour fonctionner et c’est ironiquement pour ça que c’est bien une chanson parfaite, une chanson qui propose de la musique sans aucune autre prétention que le plaisir musical et purement émotionnel. Qui n’aimerait pas un refrain magnifique répété en boucle ?

Image de prévisualisation YouTube

C’est aussi là l’un des rares problèmes de l’album : il offre le meilleur dès le début et on ne peut s’empêcher de se sentir un peu trahi après des moments aussi purs et colossaux que les deux premières chansons. Je crois qu’Autre Ne Veut n’en a pas grand-chose à faire par contre et qu’il s’agit simplement pour lui de s’imposer en tant qu’artiste, objectif totalement réussi.

Chaque track est réellement infusé de sa lutte continue et touchante contre chaque chose qui le trouble et c’est en ces cris de révolte qu’on se rend compte que l’artiste – et l’album – est aussi touchant et qu’on peut réellement s’associer à tout ce qu’il dit. On a tous perdu un être cher, vécu des moments de désespoir purs, haï, aimé, eu peur, on s’est tous senti à un moment ou à un autre abandonné, seul, puissant, révolté… et c’est exactement ce que le chanteur extériorise sur cet album en réussissant glorieusement à surpasser chaque peur. C’est l’œuvre d’un artiste qui évolue avec une puissance fantastique, qui passe de simple chanteur lo-fi à pure icône pop/r&b et s’affirme avec toute la force possible. Anxiety est l’album le plus vrai de l’année, un condensé de pures émotions brutes qui claquent sur une production extrêmement peaufinée. Il est difficilement accessible malgré son côté purement pop et R&B – surtout à cause de la voix difficilement appréciable du chanteur – mais tout est là pour vous inviter à le réécouter : La production splendide, le côté cliché et catchy comme pas possible et le songwriting tellement parfait. C’est aussi l’un des albums les plus 100% émotionnels que vous trouverez ces dernières années, une ode à s’ouvrir totalement et à exprimer toutes ses émotions. Si vous n’en avez pas le courage, lui si. L’artiste ne s’arrête pas au studio, il transporte aussi ses émotions en live avec des performances exceptionnelles. Autre Ne Veut semble avoir enfin trouvé sa voie, même si ça implique qu’il soit totalement sérieux, qu’il perce vos tympans et qu’il ne laisse aucun détail gâcher son travail. Tant mieux pour nous et tant mieux pour ses émotions.

katsing

Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j’ai 18 ans et je suis étudiant… Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouve énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !

Commentaires :

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *