

Kendrick Lamar – Section.80
Kendrick Lamar est l’un des rappeurs les plus talentueux de sa génération. Celui que Dre, Game, et Snoop Dogg ont couronné “New King Of The West Coast” mérite largement ce titre honorifique. Considéré comme le successeur du légendaire Tupac, il a sorti son premier album, après plusieurs mixtapes, cette année : Section.80 ! Chronique.
A 24 ans, Kendrick Lamar a déjà un succès underground phénoménal. Ayant travaillé avec les plus grands, et surtout avec le mythique Dr Dre, on peut dire qu’il a réussi. Mais surtout, il apporte à son travail une approche originale, fraîche, et incontestablement très bien travaillée. Avec un excellent flow, des lyrics qui touchent la génération Y, et une production très variée, on appréciera la majorité de son travail.
Successeur de Tupac ? Le jeune Kendrick, a 8 ans, était fasciné par California Love, et a décidé de faire du rap sa carrière. Section.80, selon lui, a été inspiré par un rêve qu’il a eu, celui du légendaire Tupac qui lui aurait dit Keep my music alive. Mais on retrouve une touche personnelle et originale qui différencie son travail de celui de Tupac. Du conscious rap visant souvent la jeunesse, en passant par beaucoup de délires, Kendrick se fait le porte parole des jeunes.
Le premier truc qu’on remarque, c’est la qualité de la production. Très variée, très fine, et originale, c’est un véritable plaisir. De ADHD qui sample The Jet Age Of Tomorrow pour un son très doux, à The Spiteful Chant qui sample Iron de Woodkid, on a beaucoup de surprises ! Sur des beats très chill, des fois R&B, des fois plus électro, voire downtempo, avec toujours cette douce touche de Jazz très chill qui ont fait la gloire de A Tribe Called Quest, Kendrick Lamar maîtrise chaque beat avec son excellent flow. On appréciera aussi le fait que la majorité des beats utilisent une vague ambient qui fait très Cloud Rap, et très frais… L’art maîtrisé par Shabazz Palaces ou Clams Casino est très bien réutilisé ici. Un bonheur musical qui réinvente la G-Funk ! ADHD, Chapter Six, Kush & Corinthians, Hol’ Up etc représentent le plus cette production. Et c’est très catchy ! Le woopy woop woopy woop woop de Ronald Reagan Era est resté des jours dans ma tête.

Son flow est très mélodique, souvent doux, et très touchant. Toujours synchro, on voit qu’il sait ce qu’il fait, qu’il ne fuck pas avec les beats comme n’importe quel amateur : Non, Kendrick Lamar rappe aussi bien que les légendes du hip-hop. Il s’autorise même des exercices de flow comme sur le très bon Rigamortis, où il rappe progressivement, de plus en plus vite, pour à la fin lancer des rimes comme s’il avait fait ça depuis sa naissance. Même son chant est bon, et très présent (très, et non pas trop, car on ne s’en plaindra jamais).

Kendrick but ?
Cependant, ce qu’on appréciera le plus, c’est les messages qu’il délivre. ADHD en est l’exemple parfait : Une ode à la génération des jeunes, à travers la métaphore de la folie : You know why we crack babies, because we born in the 80s, That ADHD crazy ! Cette vision différente qu’ont les jeunes, cette revendication de cette manière de penser, etc. C’est ce qu’il prône. Les problèmes de coeur, comme sur l’excellent Tammy’s Song au beat hypnotisant et unique, ou encore sa vision de la beauté sur le très beau No Make-up, ses messages de paix sur Fuck Your Ethnicity. Et en général ses lyrics sont toujours très fines.

Son album dure 1 heure, mais il est difficile de passer certains son. Entendez par là qu’ils sont tous bons, mais qu’il n’essaye pas d’être aussi bon que sur d’autres sons. Mais on excusera ça, le tout étant très mélodique. Cependant, aucun son n’est réellement excellent. Tous les sons sont relativement très bons, mais aucun n’est transcendant.
Ainsi, Kendrick Lamar a eu de bons professeurs, et s’impose aujourd’hui comme l’un des meilleurs rappeurs existants. A seulement 24 ans, on sent déjà que ce jeune rappeur a énormément de talent, et qu’il peut encore s’améliorer… Oui, la majorité des sons sont bons, certains sont très bons, mais il y a quand même peu de tracks qui seront remémorés dans 4 5 ans comme des classiques. Il se donne pas à fond, mais ça reste déjà un travail de qualité vu son incommensurable talent, et c’est incontestablement l’une des meilleurs productions hip-hop de l’année ! A écouter d’urgence.

Une collaboration majestueuse : Gil Scott Heron & Jamie XX – We’re New Here
Deux artistes que tout oppose, se réunissent dans une passion qui les réunit. Et le résultat est magique… Jamie XX réussit un exploit hors du commun pour s’approprier la musique de Gil Scott Heron. Les opposés ne s’attirent-ils pas naturellement ?
Gil Scott Heron est un artiste qu’on peut qualifier d’expérimenté. This nigga look like an african poet, dirait notre jeune ami Earl Sweatshirt. Et c’en est bien un. Né durant la première moitié du XXe siècle, il est un fervent défenseur de ses pairs vivant dans la rue, et une icône pour la communauté noire. Considéré par les plus grands artistes contemporains du genre comme le parrain du rap, il a vécu dans le Bronx. Pourquoi je vous raconte tout ça ? Pour que vous preniez conscience de sa sagesse. Un Homme mature que le poids des années et la drogue auront dévasté pendant une longue décennie, dès le début du troisième millénaire. Ceci pourrait nous faire croire qu’il a été oublié et dépassé par le temps, qui aurait rendu son image obsolète et la sagesse de ses poèmes discréditée.
Ce que je veux que vous compreniez, c’est que Gil Scott Heron n’est pas mort. Un artiste aussi engagé, mûr et fier ne meurt jamais. Malgré dix difficiles années vécues avec la drogue, et malgré son exclusion progressive après que son label ne l’ait rejeté, l’Afro-Américain ne s’est jamais aussi bien porté. En 2010, il sort alors I’m New Here, un album-thérapie superbe. Il marque son retour comme s’il était véritablement new here. Il s’en sert alors pour écrire et décrire son regret, ses peines, et son repentir dans une ambiance musicalement sombre et profonde, voire mélancolique. Le poids du temps et l’amertume du regret se ressentent sur son flow plus lent, sombre, et brut. Il abandonne son style Funk et Soul pour se lancer dans un rythme tellement minimaliste que l’ampleur de ses mots en est intensifiée. Une symbiose entre Jazz, Blues, et Trip-hop, il a délivré un album sur lequel il se livre comme s’il s’agissait d’un confessionnal. Gil Scott Heron nous fait part de chansons belles et profondes sur une production intime. Gil Scott Heron est un ancêtre, un sage auquel on doit le respect.
Jamie XX a tout juste la vingtaine. Il n’est pas connu. C’est un nouveau dans le business de la musique qui n’a rien créé. Qui est-il ? Il complète le trio de The XX et est le seul membre à ne pas chanter. Il n’est profond qu’à travers la création de la musique, quand son ancêtre est profond à travers les mots qu’il prononce ou chante. Il compose des sons plutôt Dubstep, Glitch-Hop et New Wave, soit un univers musical où les mots importent peu… et Jamie XX a remixé I’m New Here.
Bref. Gil Scott Heron est un poète afro américain engagé et expérimenté, Jamie XX est un DJ dubstep anglais qui fait ses premiers pas. Leur collaboration, vue sous cet angle, paraît risquée et improbable. Vous avez déjà essayé de jouer avec votre grand-père aux jeux-vidéo ? Imaginez vous si lui même vous donnait son ancien tourne-disques. Lequel des deux sera le plus déboussolé et perdu ? Ici, aucun des deux.
Cet album n’est pas un remix, c’est une toute nouvelle création, même plus qu’une réinterprétation. Il existe une symbiose totale, qu’on ressentirait presque comme naturelle, dans le fruit de ce travail basé sur deux univers différents. Là où Jamie XX n’est pas adapté, la profondeur de Gil Scott Heron rend ça plus plaisant. Là ou Gil Scott Heron est trop mélancolique, Jamie XX lui rajoute un brin de fantaisie. Les deux se complètent comme s’ils n’étaient qu’un.
On ne peut reprocher à GSH qu’une seule chose : Son manque de funk et ce punch qu’il a perdu pour laisser place à sa profondeur. C’est excusable vu ce qu’il a vécu et son effort de renaissance musicale. Le jeunot se sert de son talent pour redonner ce manque de fraîcheur à un Gil Scott Heron qui veut sa revanche. Sur des rythmes excellemment bien produits, il fait plus que superposer la voix de son aîné, il la reconstruit, et l’adapte à son propre monde.

Ainsi, avec des morceaux tels que The Crutch, on vit une expérience musicale magique où la profondeur des mots du poète est amplifiée par la puissance et l’aura angélique qui s’en dégage. Tout le flow brut de Gil Scott Heron est remodelé par le jeune DJ. On ressent véritablement la qualité du travail de l’anglais dans des morceaux comme Ur Soul And Mine où il transforme une mélodie sombre et mélancolique en une hymne à la vie. Il réinvestit la discographie de Gil Scott Heron pour retravailler de manière progressive, et profonde, un poème sur la mort. Il mélange alors Deep House et Progressive House pour créer quelque chose d’encore plus beau et profond que le travail de son aîné. Il ravive sa flamme et le fait renaître.

La vitesse et la puissance de sons comme Running ou NY Is Killing Me se ressent à travers des rythmes plus D’n’B et Dubstep. Jamie XX ne rigole pas, il n’a pas simplement repris la base des sons de Gil Scott Heron pour la poser sur un random mix, il a fait en sorte de créer du neuf avec du vieux. C’est la base du sampling me direz vous ! Sauf qu’ici il compose. Sur des sons de cette trempe, il crée des beats très puissants et profonds, amplifiant le désarroi du poète. La voix amère de ce dernier sur NY Is Killing Me est amplifiée par l’écho et le chant soul derrière. On oublie l’univers minimaliste d’I’m New Here car ici les sons sont tellement profonds et chill que Gil Scott Heron semble être encore plus nouveau. Le son en question était d’ailleurs l’un des plus simples, chanté sur de simples “clap”, et il se retrouve l’un des plus complexes de l’album.
Les interludes plus dans le style de Gil Scott Heron gardent une authenticité dans cette recomposition musicale, même si cette recomposition n’a en aucun cas mis le travail de Gil Scott Heron à l’écart.
La voix magnifique du poète est excellemment bien réinterprétée dans cet opus. Le charisme et l’ampleur de l’afro-américain se ressent encore plus fort, grâce à la création musicale du jeune anglais.
Jamie XX est le génie qui a réussi l’exploit de recomposer autre chose à partir d’un son qui n’est pas à lui. Il se l’est approprié et a réussi à créer une symbiose entre un son mélancolique et minimaliste, et son propre univers électronique, abstrait et psychédélique. We’re New Here est plus qu’un remix. C’est un travail équitable qui dose chaque identité de l’artiste dans chaque son, sans mettre chaque identité d’un côté, mais en les mélangeant et en y créant de nouveaux horizons, entre profondeur lyrique et rythme dansant. Jamie XX a reconstruit Gil Scott Heron et lui transmet son énergie de jeune débutant pour refaire de lui une icône. Ils sont tous les deux nouveaux ici, mais le talent et la créativité de l’un est libérée par l’expérience de l’autre. La rencontre de deux univers, de deux forces, est toujours une merveille, ne serait-ce que pour l’exploit que ça représente. L’union de ces deux artistes que tout oppose nous le montre ici, à travers ce chef d’œuvre qui allie musique post-moderne et histoire d’un passé musical lourd. La sagesse de l’ancêtre et l’ambition du jeune ne peuvent que résulter en un travail aussi abouti quand les deux sont talentueux.
Gil Scott Heron n’est pas encore mort, il ne fait que renaître, sauf qu’il n’a plus rien à prouver. Jamie XX fait son chemin de manière excentrique, car il s’impose comme un producteur de génie dès le début de sa carrière, osant le coup risqué de reprendre le travail d’un maître pour le rendre parfait. Ils sont bien nouveaux ici, mais à leur manière…
Un excellent 8.8/10.

« Fbladi delmouni », ou le symbole d’un mécontentement populaire
« Fbladi delmouni » est un chant des supporters du club de football casaoui « Raja Athletic Club » qui a fait surface sur les réseaux sociaux au mois d’avril et a depuis fait le buzz, de nombreuses vidéos de supporters reprenant le chant ayant été relayées sur Youtube.
Ce chant contestataire, dont la tradition existe depuis longtemps chez les supporters casablancais, est symptomatique du mal-être d’une génération déçue par les responsables et les autorités, désœuvrée car sa passion n’a pas su être contenue et canalisée par des structures sportives suffisamment performantes et dont les comportements dans les gradins et autour des stades sont sévèrement réprimandés.
L’argent qui aurait pu être investi pour former des sportifs passionnés rayonnant dans le monde n’a, d’après ces paroles, été dépensé que pour « vendre le pays aux étrangers ». Une génération aurait ainsi été subjuguée par l’appât du gain du pouvoir.
Le chant se conclut par une ultime désolation des supporters qui n’en peuvent plus de répéter chaque jour la même diatribe, et se sentent incompris, avant de céder aux larmes et de s’en remettre à Dieu, leur unique salut.
Au mois d’octobre 2018, le Ministère de la Jeunesse et des Sports a commencé la mise en œuvre, avec le ministère de l’Economie et des Finances, de l’Intérieur, le Fonds d’Equipement Communal et les Conseils provinciaux concernés, un programme national de construction de 832 complexes socio-sportifs de proximité d’un budget d’environ 600 millions de dirhams.